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                                                                                                                   LA MORT

 

 

  Jamais, en quelque circonstance, j'ai pu me résigner à la mort... j'ai jamais pu abandonner rien... la mort pour moi personnelle, serait une aubaine, je serais bien content, mais la mort des autres me vexe... [...] même les centenaires qui cassent leurs pipes jamais été d'accord !... je suis pour le départ de rien...
 (Féerie pour une autre fois 2, p.393).


   J'ai lutté gentiment contre elle, tant que j'ai pu... cotillonnée, j'ai festoyée, rigodonnée, ravigotée, et tant et plus... enrubannée, émoustillée à la farandole tirelire... Hélas ! je sais bien que tout se casse, cède, flanche un moment...
  Je sais bien qu'un jour la main tombe, retombe, le long du corps... Et tous les mensonges sont dits ! tous les faire-part envoyés, les trois coups vont frapper ailleurs !... d'autres comédies !...
 
(Le Pont de Londres).

 

 

 

 

  Louis-Ferdinand CÉLINE : « je suis pour le départ de rien... »

« " merde ! merde ! merde ! " la conscience c'est ça : merde ! merde !... jamais, en quelque circonstance, j'ai pu me résigner à la mort... j'ai jamais pu abandonner rien... la mort pour moi personnelle, serait une aubaine, je serais bien content, mais la mort des autres me vexe... dans le fond du tréfonds de tout c'est pour ça qu'on peut pas me piffrer, qu'on s'acharne à me trouver mille crimes, parce que je râle à la mort des autres... même les centenaires qui cassent leurs pipes jamais j'ai été d'accord !... je suis pour le départ de rien... merde ! merde ! merde ! »
(
Louis-Ferdinand Céline, Féerie pour une autre fois II, Romans IV, Pléiade, p. 393. Le Petit Célinien, lundi 20 juin 2014).

 

 

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      VOIR LA DALLE OU REPOSE SA MERE

 Les épreuves m'ont cassé, j'avoue... tenez, je reviens à ma mère... je peux pas me faire à cette tristesse... elle est enterrée Père-Lachaise, allé 14, division 20... Je voudrais bien un " laissez-passer "... juste le temps d'aller voir la dalle...
 Tout est survenu d'une façon... elle a jamais su ce que j'étais devenu... je lui porterais un pot de marguerites... c'était sa fleur la marguerite... Marguerite Louise Céline Guil
lou... Elle est morte de chagrin de moi et d'épuisement d'effort du cœur... des palpitations, d'inquiétudes... de tout ce qu' " on " disait... pensez les gens de l'avenue de Clichy !... les bancs... l'opinion publique !...
  Elle a jamais su ce que j'étais devenu... nous l'avons vue partir un soir, elle a pris la rue Durantin et puis la descente vers Lamarck... et puis ce fut tout pour toujours... elle dormait plus depuis des mois... Elle a jamais beaucoup dormi... maintenant elle dort... Elle était comme moi, soucieuse, trop consciencieuse... Elle avait un petit rire en elle pourtant, moi je l'ai énorme... La preuve dans ce fond de fosse, tenez, je peux rire quand je veux, je pense à vous, magique, comment que vous allez tortiller, gigoter, quand jouera la flûte, le petit air d'en haut que vous connaissez pas encore... Le rire c'est en soi ou y a rien...

 Je l'ai vue rire, moi, sur des dentelles, sur les " Malines ", les " Bruges ", des finesses araignées, des petits nœuds, des raccords, ma mère, surfils, qu'elle se crevait les yeux... ça devenait des dessus de lit immenses, de ces Paradis à coquettes, de ces gracieusetés de dessin... de ces filigranes de joliesse... que personne maintenant comprend plus !... c'est en allé avec l'Epoque... c'était trop léger... la Belle !... c'était des musiques sans notes, sans bruit... pour l'ouvrière c'était ses yeux... ma mère c'est ainsi... elle était aveugle pour finir... soixante ans sur les dentelles !... J'ai hérité de ses yeux fragiles, tout me fait pleurer, le gris, le rouge, le froid... J'écris à grand'peine... oh, mais je dormirai aussi moi ! ça viendra le moment du repos !... J'aurai mérité... " Indigne ! " plus qu'indigne ! traître ! patati ! personne m'empêchera ma mort ! Saisi ! tout ! Dodo ! Je gagne !
 Je voudrais bien un " laissez-passer " pour le Père-Lachaise, aller voir la dalle, le nom... Oh ! l'impertinence ! qu'ils suffoquent ! Excrément ! qu'ils hurlent, hors Patrie !... A moi ? De Courbevoie ! eux qui viennent de replis de fumiers qu'aucune carte mentionnera jamais ! de ces désolations de sous-steppes qu'ont même pas de poteaux ! d'urinoirs ! de mares ! de grammaires ! c'est l'outrecuidance qui me tuera ! vous verrez ! verrez les cruautés de ces rebuts ! d'ébaubissement que je mourrerai ! que tout est permis !... paillassons d'hier !... 
 (Féerie pour une autre fois, Folio n° 918, Gallimard, 1985, p. 75).

 

 

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   Voyage : un Culte du Moi paradoxal

 Tout commence avec la guerre, présentée comme une véritable boucherie. C'est un abattoir dans lequel les hommes ressemblent à des animaux que l'on sacrifie, d'où l'expression " viande humaine ". Quant au champ de bataille, il ressemble à un immense cimetière. Par ailleurs, au retour des batailles, il ressemble à un immense cimetière. Par ailleurs, au retour des batailles, les soldats sont comparés à des fantômes, des revenants tout juste sortis du tombeau. C'est-à-dire que même ceux qui ne tombent pas sous les balles ennemis sont marqués par la mort qui paraît inéluctable. Bardamu se considère donc comme un " assassiné en sursis ", ce qui provoque chez lui un sentiment d'effroi contre lequel il ne peut lutter. Effrayé, il ne veut pas mourir et regrette de ne pas avoir commis un délit qui l'aurait placé en sécurité, en prison. Après sa blessure et une période de convalescence, la peur de retourner au front le rend fou, ce qui lui vaut un nouveau séjour à l'hôpital. Là, il explique à Lola qu'il s'interdit de participer au carnage. Ce qui donne l'occasion à Céline de signer un plaidoyer contre la guerre, voire toutes les guerres, qui sont autant de vies perdues inutilement, sans que personne ne s'en souvienne un jour.
  Mais c'est surtout en sa qualité de médecin que le personnage principal se trouve souvent confronté à la mort. Et cela, qu'il le veuille ou non, comme le montre l'exemple du père Henrouille. Bardamu, qui souhaite avoir des nouvelles de Robinson parti à Toulouse, se rend chez les Henrouille. Arrivé devant leur pavillon, il désire repartir mais la porte s'entrouvre et on l'invite à rentrer. Il se retrouve alors au chevet du père Henrouille mourant, ce qui lui fait dire : " [...] j'avais pour me trouver dans des cas de ce genre une espèce de veine de chacal. " Cela dit, même quand il ne la cherche pas, la mort se présentait sur son chemin. Tenant à intensifier cette atmosphère macabre, le narrateur nous propose ensuite une description clinique de l'état du malade. Et, c'est la mort dans toute son horreur, inéluctable, qui nous est présentée dans ce passage.
 
  Céline utilise délibérément cet élément dans d'autres chapitres de son roman ; et, c'est toujours à Rancy, qu'il situe le long récit de l'agonie de la jeune femme ayant avorté, qui s'étale sur plusieurs pages. Bardamu est complètement impuissant, immobile, incapable de faire autre chose que prendre le pouls de la mourante qui se vide de son sang. La mort triomphe à nouveau comme ce sera encore avec le personnage Bébert dans la suite du roman ; avec, en outre, une réflexion sur l'incapacité de la médecine pendant les semaines de souffrances endurées par l'enfant. Du coup, la mort s'avère être également liée à la banlieue, à la misère et le narrateur n'hésite pas à comparer, dans cette vision lugubre, les murs des immeubles à des cercueils. 
 Une des banalités ontologiques que Bardamu discerne, dans son voyage au bout de la nuit, est que la mort ronge l'existence humaine jour après jour. D'ailleurs la dissemblance entre la vie et la mort n'est pas assez grande tel que nous l'affirme le narrateur dans le passage suivant : " [...] les vivants qu'on égare dans les cryptes du temps dorment si bien avec les morts qu'une même ombre les confond déjà. " Par conséquent, nous sommes tous en sursis et ceux qu'on a oubliés sont considérés comme trépassés. Notons que cette impression l'accable depuis son séjour dans la chambre du père Henrouille agonisant. Ainsi, les choses s'avèrent être beaucoup plus supérieures à l'homme en ce qui concerne le fuite du temps et la peur de la mort. Dans ce contexte, c'est tout le roman qui est placé sous le signe de la mort et pour Bardamu, " [...] toutes les pensées conduisent à la mort. " Dans Voyage au bout de la nuit, la mort est également présente dans son aspect le plus sordide, dans l'épisode de Toulouse, quand Madelon fait visiter le caveau rempli de cadavres à Bardamu. L'auteur insiste sur la décomposition, la malpropreté et la puanteur des corps.

 Le roman commence sur les champs de bataille et s'achève par la mort de Robinson. Entre-temps, de nombreuses personnes ont péri. Ce sont elles qui reviennent hanter Bardamu alors qu'il se trouve dans un café de Montmartre avec Tania. Dans ce long passage, le narrateur à l'impression de ne pas pouvoir aller plus loin. Au cours de son hallucination revoit ceux qu'il n'a pu sauver, Bébert, la jeune femme qui avorte et d'autres encore. A la fin du passage, le narrateur distingue un monde dans lequel " [...] tout est presque fini " et où il n'y a " [...] presque plus de vie [...] pour personne. " ; comme si la terre vivait ses derniers instants. Tous les revenants de toutes les époques se retrouvent là, ayant fait un grand trou dans la nuit pour s'enfuir. Ils sont guidés, par un grand voyageur, La Pérouse, comme si tous les voyages, à l'image de celui de Bardamu, menaient à la mort. En ce sens, dans l'œuvre de Céline, la quête s'achève par la découverte de l'omnipotence de la mort, qui est directement liée à la vérité prospectée par Bardamu.
 Ainsi, il n'est jamais aussi près de la vérité que quand il participe aux combats durant la guerre : " J'étais dans la vérité jusqu'au trognon, et même que ma propre mort me suivait pour ainsi dire pas à pas. " Un peu plus loin, il explique que pendant " ... cette espèce d'agonie différée, lucide, bien portante... il est impossible de comprendre autre chose que des vérités absolues. "
 
Aussi, c'est parce que la vérité est intimement liée à la mort en Afrique, que Bardamu regrette de ne pas avoir regardé les hyènes dans les yeux ; ces animaux qui aiment la charogne et vivent de ce qui est inerte. Pareillement, les cadavres qui sont dans la cave de la vieille Henrouille à Toulouse s'avèrent être plus proches de la connaissance que tous les vivants : " Ce n'est pas tout à fait de la nuit qu'ils ont au fond des orbites, c'est presque encore du regard, mais en plus doux, comme en ont des gens qui savent. "
 
 A ce niveau, il s'agit là aussi, d'une réflexion philosophique sur le sens de la vie dont la conclusion réfute l'idée d'une connaissance liée à la mort ; d'où le nihilisme sous-tendu par les réflexions de l'auteur. Ce qui dénote les lectures de Céline influencé doublement par Nietzsche et Schopenhauer.
 Dans son voyage intérieur, Bardamu doit faire face à ses propres démons. Tout d'abord, sa peur est indéniablement liée aussi bien à la guerre qu'à la mort. Certainement, Bardamu est anxieux par lâcheté et le reconnaît volontiers, et cette peur jouit d'une dimension romanesque bien plus large dans la fiction de Céline. Effectivement, il est dans la nature de l'homme d'être lâche, comme le montre par exemple la cruauté des Blancs en Afrique ; et les limites de Bardamu sont aussi celles du genre humain ; ce qui pourrait s'apparenter aux propos de Freud pour qui " dans les névroses de guerre, ce qui fait peur, c'est bel et bien un ennemi intérieur. "
 (Youssef Ferdjani, Voyage : un Culte du Moi paradoxal, BC n° 423, novembre 2019).

 

 

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           JOUHANDEAU et la MORT de CELINE.
 
 Le samedi 1er juillet 1961 mourait, dans son pauvre pavillon des hauteurs de Meudon dans un décor de terrain vague et de banlieue à la Marcel Carné, le docteur Destouches - en littérature, Louis-Ferdinand Céline - l'un des plus grands écrivains de notre temps.
  Ce jour d'été d'il y a vingt ans, l'auteur du " Voyage au bout de la nuit ", revêtu de sa robe de chambre usée, incolore, et chaussé de ses vieilles savates, avait dit à sa
femme, l'ancienne danseuse Lucette Almanzor : " Je voudrais m'étendre un peu ".
  Après avoir fermé les yeux quelques instants, il les rouvrit pour murmurer ce qui reste ses dernières paroles : " Il faudra penser à mettre les lettres à la poste... " Une phrase de tous les jours, une réflexion de père tranquille qui surprend dans la bouche d'un homme qui, tant de fois dans tant de pages fameuses, hurla, injuria et blasphéma avec son génie inégalé de pamphlétaire.

 Pour le vingtième anniversaire de la mort de cet écrivain ô combien non-conformiste et qui eut le courage d'aller jusqu'au bout de son destin tout en sachant qu'il avait choisi la mauvaise voie, la " Revue célinienne " (Trolieberg 20, 3200 Kessel-Lo, Belgique) a publié un numéro spécial de plus de 80 pages, illustré de plusieurs documents photographiques inédits et composé de témoignages riches d'enseignement.
 
 Les éditeurs ont eu l'excellente initiative de reproduire, en guise de préface, ces propos de Marcel Jouhandeau : " Du moment que nos erreurs ne reposent pas sur un intérêt, qu'elles n'ont pas été dictées par un bon calcul, surtout si elles n'ont réussi qu'à nous ruiner et à faire de nous des martyrs, elles n'ont rien de regrettable.

 " En politique, on ne peut guère que se tromper ou être trompé, tout n'y étant que partis, partis pris qui aboutissent trop souvent à des fanatismes opposés, aussi néfastes les uns que les autres et à répandre le sang (on en pourrait dire presque autant des religions).

 " Ma conviction profonde à l'égard de Ferdinand Céline, c'est qu'il n'avait pas plus d'illusions sur les idées que sur les hommes et parce qu'individu exceptionnel, comme son langage, il était singulier, singulièrement impair, comparable et réductible à rien d'autre qu'à lui-même, il me semble mériter d'être respecté à l'égal de certans cyniques de l'antiquité. Louis-Ferdinand Céline, c'est notre Diogène. " (J.P.Tz).
  (BC n° 1, Premier trimestre 1982, p. 2).

 

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          LES MORTS DE CELINE.

  Je leur ferai à tous... Hou ! rouh !... Hou !... rouh !... Ils crèveront de peur... " Je suis de ces auteurs qui ont du souffle, du répondant, du biscoto. J'emmerde le genre humain à cause de mon répondant terrible, de ma paire de burnes fantastiques (et bordel de dieu je le prouve !). Je jute, je conclus, je triomphe, je trempe la page de plein génie... De vous à moi, entre copains, c'est ce qu'on me pardonne pas du tout, à la ronde, ce qu'on me pardonnera jamais, jamais, la façon que je termine, que j'achève les entreprises, que je vais au pied comme une reine, à tous les coups 1. "

 Louis-Ferdinand Céline est-il mort le 7 décembre 1932 quand le roman de Guy Mazeline, Les Loups, remporta le prix Goncourt pourtant dû à l'auteur de Voyage au bout de la nuit, " un récit romancé, dans une forme assez singulière et dont je ne vois pas beaucoup d'exemples dans la littérature en général. [...] du pain pour un siècle entier de littérature, [...] le prix Goncourt 1932 dans un fauteuil 2 " ?
 
Est-il mort quatre ans plus tard quand, en juin 1936, deux mois après la publication de Mort à crédit, il écrivit à Charles Bonabel : " Quant à mon petit établi il a été littéralement balayé par un flot prodigieux de haine imbécile et bouillante. Echaudé je le suis quant à la vente ! Ce pays n'a plus qu'une ferveur, le dénigrement. Tout ce qui sape gagne 3 ! " ?

 Est-il mort le 11 décembre 1937 lorsqu'il démissionna du dispensaire municipal de Clichy, dirigé par le médecin juif et communiste Grégoire Ichok, quelques mois après la publication de Mea culpa, un court pamphlet qu'il rédigea après son séjour dans l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques 4 ?
 Est-il mort à l'occasion du lancement de Bagatelles pour un massacre, le 31 décembre 1937, pamphlet à l'origine de l'abandon de l'écriture de Casse-pipe, et pour lequel il écrivit à Marie Canavaggia, sa secrétaire : " Qui m'a défendu pour M. à crédit ? Des tenants de la haute littérature ? Qui ? Ce fut n'est-ce pas l'hallali le plus lâche, le plus injuste, le plus écœurant... Alors, je n'ai d'intention que du berger à la bergère... Je me fous cosmiquement d'être impartial ou même scrupuleux... Je suis en guerre contre tous. Comme tous furent solidaires pour essayer de me réduire à rien. Ceci est peut-être mesquin mais c'est solide et pondérable. Ce n'est pas du vent. Tous ces " Soyez noble... soyez au dessus... ne vous mêlez pas de ces bassesses, etc... " sont des propos de juifs. Pour que nous prenions les coups de pieds au cul avec le sourire et que crevions en souplesse. [...] Ce livre est rédigé sous le signe du plus grand désagrément. Il n'est pas fait pour plaire - à personne
5. " ?

 Est-il mort le 21 juin 1939 après avoir été condamné par la 12e chambre correctionnelle à 4 400 francs d'amende de dommages et intérêts pour injure et diffamation envers Pierre Rouquès, suite à la publication, fin 1938, de L'Ecole des cadavres, écrit polémique dans lequel il réclamait une alliance militaire, politique et économique avec l'Allemagne, alors que les armées d'Adolf Hitler venaient d'entrer à Prague 6 ?
 Est-il mort en décembre 1941 quand Les Beaux Draps, ce manifeste de l'utopie célinienne dédié " à la corde sans pendu ", fut accueilli sans ferveur par la presse collaborationniste et interdit par le ministère de l'Intérieur dans la zone libre
7 ?
   Est-il mort en 1944 quand les journaux se montrèrent décontenancés par Guignol's band, ce " kaléidoscope d'images pénibles souvent ordurières
8 " publié le 15 mars et jugé en décalage avec ses prises de position publiques depuis 1936 9 ?
  Est-il mort en 1952 quand, deux ans après son retour d'exil, persuadé qu'il suffirait de présenter sur les étalages le " nouveau Céline " pour vendre les 33 000 exemplaires
de l'édition courante, il accusa Gallimard d'organiser la mévente de Féerie pour une autre fois 10 ?

 Est-il mort en janvier 1955 quand, après avoir constaté que Normance ne serait pas plus un succès de vente que le premier Féerie, il se faisait traiter de " mufle " par Jean Paulhan 11, l'un des fondateurs du Comité national des écrivains, l' "anémone languide " qui avait pourtant fait les premières approches pour une réédition de Voyage au bout de la nuit chez Gallimard ?
 Est-il mort en 1957 quand, fort des 23 000 exemplaires de D'un château l'autre vendus en une année, il " rallie le fumier (doré) du Système
13 " en faisant son grand retour sur la scène littéraire ?
 Est-il mort en 1960 quand les Editions Gallimard durent retirer de la vente Nord, ultime roman paru de son vivant, à la suite de la plainte déposée par la propriétaire d
u manoir de " Zornhof " qui s'y était jugée diffamée 13 ?
 Est-il mort le 30 juin 1961 quand, exténué, il annonça à Lucette que Rigodon était terminé et lui demanda d'acheter un stylo avec lequel il fera sa copie de mise au net, avant d'être emporté par une hémorragie cérébrale gauche le 1er juillet 1961
14, laissant ainsi un texte complet, mais qui n'avait pas reçu la dernière mise au point d'une copie définitive 15 ?

  Céline n'est pas mort. " Pléiadisé ", objet d'un nombre incalculable d'études et de publications en tous genres, présent dans les journaux, à la radio, au cinéma, dans les postes télévisés, les métros, dans les rayons des bibliothèques nationales, municipales et privées, sur Internet et Facebook, dans toutes les bouches (bienveillantes ou dédaigneuses, instruites ou profanes), l'auteur de Mort à crédit n'en finit pas d'exister et de se rappeler à notre bon - ou mauvais - souvenir.
  " Je veux passer fantôme ici, dans mon trou... dans ma tanière... Je leur ferai à tous... Hou ! rouh !... Hou !... rouh !... Ils crèveront de peur... Ils m'ont assez emmerdé du temps que j'étais vivant... Ca sera bien mon tour...
16 "
 (Emeric Cian-Grangé, Spécial Céline n°28, avril-mai-juin 2018, P.33).
 
 
1. L'Ecole des cadavres, Denoël, 1938.
 2. Lettre aux Editions de la NRF, peu avant le 14 avril 1932, (Lettres, Gallimard, Pléiade, 2009).
 3. Lettre à Charles Bonabel, juin 1936, (Lettres, Pléiade, 2009)
 4. Lettre à Karen Marie Jensen, 6 février 1937, (Lettres, Pléiade, 2009).
 5. Lettre à Marie Canavaggia, 26 octobre 1937, (Lettres, Pléiade, 2009).
 6. Préface de la réédition de L'Ecole des cadavres, Denoël, 1942.
 7. François Gibault, Céline : 1932-1944, délires et persécutions, Mercure de France, 1985).
 8. Jacques de Lesdain, Aspects, 2 juin 1944.
 9. Georges Blond, L'Echo de Paris,15 avril 1944.
10. Lettre à Claude Gallimard, 12 septembre 1952, (Lettres, Pléiade, 2009).
11. Lettre de Jean Paulhan à Céline, 14 janvier 1955, (Lettres, Pléiade, 2009)
12. Pierre-Antoine Cousteau, Rivarol, 20 juin 1957.
13. Les Editions Gallimard publient au mois d'octobre 1964, une édition dite " définitive " de Nord, dans laquelle tous les noms propres sont remplacés.
14. Certificat du Dr Willemin.
15. Le déchiffrement du manuscrit fut réalisé par Mme Destouches, aidée de Me André Damien, puis de Me Gibault. Le roman définitif paru en février 1969, sept ans et demi après la mort de Céline.
16. Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937.

 

 

                                                                                                                           *********

 

 

         TROIS CATEGORIES D'IMAGES DE MORT...

 Dans tout texte célinien la mort est là, injuste et absurde, elle guette les hommes et la matière. Dans sa préface de 1932 au Voyage au bout de la nuit, Céline écrit que notre voyage " va de la vie à la mort ". Dans Mort à crédit, Ferdinand craint par anticipation pour des gens qu'on perd " sur la route... des potes qu'on ne reverra plus... plus jamais... qu'ils ont disparu comme des songes... que c'est terminé... évanoui... qu'on s'en ira soi-même se perdre aussi... [...] dans tout atroce torrent des choses, c'est triste, c'est infâme - Ferdinand crie son désespoir pour tous ces " innocents qui défilent le long des vitrines " qui passent, qui s'en vont, inexorablement.

 Pour les besoins de notre analyse , nous distinguerons , suivant le critère de leur dimension macabre et comique, trois catégories des images de mort. Tout d'abord il y a des morts des innocents, celles des enfants et des animaux, qui sont pudiques, où l'on ne voit pas le cadavre et qui sont exemptes d'éléments macabres. Un autre groupe constitue les morts " méritées ", comme celle de Robinson ou de la grand-mère Caroline, où l'on assiste à l'agonie et où le macabre, biologique ou imaginatif apparaît mais reste dans le registre de l'ordinaire. La troisième catégorie enfin, apanage de Mort à crédit, constitue non pas des images mais des visions de mort, de vraies danses macabres où l'escalade des détails scabreux, dégoûtants, terrifiants atteint son paroxysme.

 Les représentants par excellence du premier groupe nous paraissent le petit Bébert de Voyage au bout de la nuit et la chienne Bessy dans D'un château l'autre. Nous avons choisi ces deux exemples parce qu'ils nous semblent particulièrement impressionnants et riches en connotations littéraires.
  Bébert est le petit neveu de la concierge que le docteur Bardamu, avec toutes ses connaissances médicales, n'arrive pas à sauver de la mort. Emu, profondément bouleversé par son impuissance de médecin, Bardamu cherche la consolation dans la transcription en bas français de la célèbre lettre de Montaigne à sa femme, ce qui confère à son drame un air comique, hautement littéraire. Par contre nous n'assistons ni à l'agonie de l'enfant ni ne voyons son cadavre. Même ses funérailles nous sont
épargnées.
 La mort " belle, discrète, fidèle ", émouvante, est celle de la chienne Bessy. [...] Cette belle mort, sans " le tralala " qui nuit aux hommes qui jouent leur agonie, rappelle cependant de façon singulière le topoï de la mort exemplaire remontant à la Chanson de Roland. Elle semble calquée sur celle du fidèle chevalier qui expire la tête tournée vers le nord, vers la douce France. Réminiscence littéraire ou non, cette mort n'est qu'émouvante, sans aucun trait macabre.

  Le deuxième groupe des morts sont les morts " méritées " selon l'idée de Céline lui-même que la mort se mérite, irrévocable, atroce, encore faut-il la payer. " C'est pas gratuit de crever ! C'est un beau suaire brodé d'histoires qu'il faut présenter à la Dame ". Si les deux morts du premier groupe sont mineures dans le sens qu'elles n'infligent pas directement sur l'intrigue, les morts de Robinson et de la grand-mère Caroline ont un fort impact sur l'avenir des protagonistes, Bardamu et Ferdinand.
 Robinson, ce double maudit de Bardamu, meurt d'amour, il est blessé à mort par la femme qui l'aime et qui refuse de tolérer le manque d'amour de la part de son bien-aimé. Bardamu, impuissant, assiste à l'agonie de son ami. Il est gêné : en tant que médecin il ne peut pas l'aider et en tant qu'ami il n'arrive pas à compatir. Ils étaient " malins " tous les deux et quand on est " malin " il est difficile d'éprouver du chagrin.
 [...] Cette scène émotive (dans le sens que donne Céline à ce qualificatif), avec ses détails de salle de dissection, prolongée par celle du transport du corps sur une civière au poste de police, clôt le roman et par le fait même acquiert une importance capitale. Comique, elle ne l'est sûrement pas, elle est paradoxale et dérisoire par sa qualification du crime d'amour et la condition du " malin " de l'agonisant - il a bien mérité sa mort, absurde comme sa vie elle-même.

 La mort de la grand-mère Caroline dans Mort à crédit est plus complexe. La scène de la mort, la nuit, précédée par la réunion de la famille et la longue attente, présente plusieurs points communs avec celle de la grand-mère de Proust dans Du côté des Guermantes. Après les adieux, la famille attend, " contractée " dans une pièce attenante. L'agonie est pudique, l'on ne voit pas l'agonisante ; " une sorte de hoquet " annonce la mort. La mère s'évanouit. La description du deuil de la famille et de l'enterrement est sobre. En somme une mort digne, bien ancrée dans la tradition, inspirée de grande littérature. Les éléments macabres et comiques surviennent plus tard. La mère qui mène le grand deuil fait amener les siens et son amie, Mme Divonne, au cimetière. On visite le tombeau de Caroline, on apporte les fleurs, toujours les roses, ses préférées, on change les vases, on décore l'intérieur.
 Ferdinand est sensible à la présence de sa grand-mère : " elle était pas loin là-dessous ". Le caveau est propre et bien entretenu. [...] Après être sortie du cimetière, Mme Divonne annonce qu'elle a faim et qu'elle voudrait bien manger de la galantine. L'idée même de galantine écœure le garçon. " Je pensais plus qu'à vomir... Je pensais à la galantine... A la tête que devait avoir là-dessous, maintenant Caroline... à tous les vers... les bien gras... des gros qu'ont des pattes... qui devaient ronger... grouiller dedans ". Et effectivement il vomit sur le pantalon de son père. Le père, furieux, honteux, entre dans une de ses colères : il s'en va feignant de ne plus connaître sa famille.

 Le troisième groupe est constitué des visions de mort situées sur la crête du registre du macabre. Dès le début de Mort à crédit le délire monte, atteignant le sommet de l'absurde et du dérisoire avec les deux suicides : de Nora Merrywin et de Courtial des Pereires. Le roman commence par la mort de la vieille concierge du narrateur. La disparition de cette " douce et gentille et fidèle amie " suscite la révolte chez Ferdinand adulte. A qui en parler, à qui écrire ? Il en éprouve de la haine pour ceux qui ont disparu laissant le vide autour de lui. La mort se mérite. Est-ce pour cela que les morts les plus spectaculaires sont l'apanage des personnes les plus spectaculaires, les plus hautes en couleurs comme Nora ou Courtial ?
 
 Madame Nora Merrywin exerçait sur Ferdinand un vrai sortilège. " Ses mains... le visage, c'était une petite féerie rien que de les regarder... C'étaient des ondes, des magies, au moindre sourire... Ses cheveux aussi, dès qu'elle passait devant la cheminée, devenaient tout lumière et jeux !... Sa voix, c'était comme le reste, un sortilège de douceur... " La faillite et la fermeture imminente du collège poussent cette femme au suicide. La description des derniers moments précédent le suicide et la noyade elle-même, présentée dans le langage violent, vulgaire, obscène, avec tous les détails pornographiques des " adieux " de Nora et de Ferdinand provoque un malaise profond. La longue scène, à la fois lyrique et grossière, de la mort de Nora est d'une atrocité inouïe. Le rapport de Ferdinand soulève le cœur. Il regarde d'en haut " le petit carré blanc " emporté par les vagues et entend même, par un effet fantastique, ce dernier hoquet qui fait évacuer la vie.

 La mort de Courtial des Pereires, personnage haut en couleur, atteint dans le paroxysme du délire macabre de sa relation, la ligne de crête de l'absurde, de la déraison et du comique. C'est la faillite, comme dans le cas de Nora qui pousse Courtial à se suicider. Il n'est pas comme la " fée " du Meanwell College, la victime innocente de la ruine de son mari - Courtial, inventeur fantasque, est homme de volonté, c'est lui qui entraîne dans son désastre les autres. Acculé au désespoir, il assume la catastrophe qu'il a provoquée par sa mort qui, sous la plume de Céline, devient une vraie apocalypse. L'histoire de son suicide comprenant sa disparition, la découverte du corps, son déplacement, l'arrivée des gendarmes, la veillée, la visite du chanoine fou, jusqu'à l'enlèvement du corps dans l'ambulance, compte plus de 45 pages (1036-1082).
 [...] Les atrocités se superposent parce que le corps est gelé, il adhère à la surface graveleuse de la route et il faut le transporter. La description est détaillée : il faut retirer le canon, mettre le cadavre sur la brouette. Le sang gicle, il n'arrête pas de gicler. Tout le long passage concernant les péripéties de la veuve et de Ferdinand avec le cadavre est pénible à lire. Les images macabres, atroces avec leurs scènes sanglantes, le désespoir d'Irène, le traitement infligé au corps par le chanoine fou atteignent un tel degré d'horreur qu'elles deviennent comiques. C'est trop, c'est une vraie danse macabre où l'épouvante se mêle au comique car son illustration est folle et fausse.

 [...] Le langage, lui aussi imaginatif, permet à Céline de donner à ses écrits ce ton violent et en même temps léger qui masque la réalité. Il lui superpose sa propre réalité qui, quoique calquée sur le réel, est imaginaire et illusoire. La misère de Céline, et c'est dans sa présentation que la griffe du génie se révèle dans toute sa puissance, est une misère, somme toute, fantastique comme est fantastique le cortège des morts dans Voyage au bout de la nuit. Il est possible de se retrouver la nuit place du Tertre, il est vrai que les gens meurent, nous pouvons accorder que c'est absurde, nous pouvons croire que leurs esprits vivent éternellement mais il ne nous est pas possible de les voir cavaler dans le ciel nocturne.
  La vision célinienne de la misère est construite selon le même schéma, tous les éléments sont ou peuvent être vrais, c'est leur rassemblement qui est extravagant. L'absurde et la dérision semblent venir de cette unification fallacieuse : il y a toujours quelque détail qui détonne et qui peut, à tout moment, dégénérer devenant monstrueux, gigantesque.

  Les images des morts, surtout celles du troisième groupe ainsi que celles de la " mistoufle ", paraissent l'œuvre de cette imagination  puissante qui, mariée à l'humour noir, met en mouvement la spirale de l'absurde qui transforme ce qui était réel en illusoire et ce qui était terrifiant en burlesque ou tout simplement comique. Et le rire est cette victoire de l'intellect sur le mal dont parlait Rabelais.
 (Anna, Kukulka-Wojtasik, BC n° 405, mars 2018)

 

 

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     SOUDAIN, DANS UNE ENCOIGNURE, SON AILE DE GOELAND VA FRAPPER LE DIEU DE DELPHES...

 L'été a surgi, torride. Il se retire sous la pierre de sa maison, brûlante comme la Casbah. Il ne supporte plus le soleil, sortant au crépuscule : " Je vais aux commissions. " Il rapportait de Billancourt la viande des bêtes, marcheur qui a perdu son ombre. Les gens de Meudon en le croisant auraient pu dire, comme les habitants de Vérone au sujet de Dante : " Eccovi l'uom ch'è stato all Inferno " (Voyez, l'homme qui a été en enfer).
  C'en est fait de la nature. Le sacrifice commence. Le plumage doré des tourterelles semble lever des soleils au couchant. La nuit, la tempête est intolérable. Au-delà des jardins fleuris, tout se consume, la ville ne dort pas, même parmi le sommeil ; les jupes ne tiennent plus et discrètement les receveurs d'autobus mettent leur mouchoir sur la nuque. L'été pâle chauffe le dôme des Invalides au milieu du désert, et toute la lumière éclaire les ténèbres dans cette année 1961, qui ne sera dans l'Histoire que celle de la mort de Céline.

  Après bien des allers et retours, il terminait. Hemingway fait aussi le tour du cadran, tragédie du chasseur que ses chevrotines vont répandre en lambeaux sur trois étages de façade.
  L'eau, les baigneurs, la pourriture extrême de l'été, la fumée des sacrifices, quatre notes d'une péniche sur la Seine. Table rase. Les mouches pullulent. On dort. Les dentelles des vacances festonnent autour de la flamme du Vésuve. Les matelots blancs pensent aux villages de la Calabre, aux ânes des fermiers et les radars des navires de guerre tournent sans bruit, le pape bâille, le bitume fond. Tout est terni. La nuit porte à son paroxysme la vision célinienne de la catastrophe présente, l'échec de toute révolution vivante, en tant que poussée d'être et de liberté face à la dialectique de l'histoire en marche vers sa propre fin.

  Et Céline, dans une encoignure, frappe le Dieu de Delphes de son aile de goéland, et le livre est écrit.

  Aussitôt, il meurt.
  La voie solaire s'est refermée.

  Le 1er juillet 1961, Louis-Ferdinand Céline est mort dans le plus grand secret, terrassé, sur son couvre-lit écarlate, d'une rupture d'anévrisme. La veille, s'extirpant de ses catacombes, il était monté au balcon boire aux glycines. Un instant, au milieu des éclairs de chaleur, il était apparu comme un retraité sur la digue du port, regardant sortir et entrer les navires, ce monde, comme il disait, qui bagotte, s'en va, s'en revient.
  Et maintenant, malgré la clandestinité, malgré les quatre gerbes de glaïeuls et de fleurs champêtres contrevenant à la conspiration du silence, quel solennel apparat, quel sombre mélancolie de l'être écartelé sur l'abîme de ses plus secrets vertiges ornaient cette parole menaçante contre laquelle on ne pourrait plus rien ?
  Cependant, Lucette, danseuse de l'Opéra Comique, veuve de ce Convive de pierre qui a fixé à jamais tout le drame de ce signe bipolaire Hitler-Staline, fermait, du médius droit, les paupières de l'homme seul.

  C'était il y a cinq ans. Humainement parlant, on enterrait Céline, non comme Marlborough, dont on pouvait évaluer les victoires ; on le portait en terre dans l'horreur de ce jour sans ombre, comme le Juif au visage de supplicié sur le chemin de sa libération. Et dans l'apaisement des condoléances distraites, sous la dalle marquée d'un voilier, Destouches, exclu de la horde, devenait à jamais l'oiseau bizarre au-dessus des Totems, ses livres eux-mêmes.
 (Dominique de Roux, La mort de L.F. Céline, la petite vermillon, octobre 2007, p.190).   

 

 

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                    Pas d'église, pas de discours.

  L'enterrement de Céline est prévu pour le mardi 4 juillet. A 8 heures du matin, le corps est mis en bière. Lucien Rebatet et quelques intimes saluent une dernière fois la dépouille : " Le cercueil était posé dans sa chambre à coucher, à côté de la porte de la salle de bains grande ouverte. On voyait le lavabo, les serviettes, et en tournant la tête de l'autre côté, les hardes de Louis-Ferdinand, ses cinq ou six canadiennes élimées, accrochées en tas au portemanteau. " (Lucien Rebatet, Journal).
  Sur le cercueil en chêne verni, une simple plaque : " Louis-Ferdinand Destouches (1894-1961) ". Exécuteur testamentaire des dernières volontés de Céline, Roger Nimier est arrivé à Meudon au volant de sa vrombissante Aston Martin avec deux journalistes pour que l'évènement soit relaté dans la presse.

  Ils rendront compte du dernier voyage de Louis-Ferdinand Céline dans leurs journaux respectifs. André Halphen dans Paris-Presse-L'Intransigeant, et Roger Grenier dans France-Soir. Un photographe, Claude Lechevalier, immortalise la cérémonie pour le compte de France-Soir. A 8 h 45, au moment où le corps quitte la " ville Maïtou ", une pluie fine se met à tomber. Roger Grenier évoque la scène: " Suivi de quelques voitures, le corbillard entama la montée, à travers les rues de Meudon, vers le cimetière des Longs-Réages. Il continuait à pleuvoir. Le convoi n'est pas passé par l'église, et il n'y a pas eu de discours. "
 André Halphen, plus lyrique : " La pluie à commencé à tomber, fine, à l'instant où les croque-morts ont sorti du pavillon de la route des Gardes, à Meudon, la bière en chêne verni. Il était 8 h 45 ce matin. Vingt et une minutes plus tard, au moment précis où le dernier des trente intimes a quitté l'ancien cimetière de Bellevue, le soleil est
revenu [...]. La cérémonie avait été simple, rapide, sans aucun apparat. Telle qu'il l'avait souhaitée. Quelques couronnes de fleurs rouges : roses, glaïeuls, œillets. Un caveau provisoire dans le coin du vieux cimetière. A trois mètres d'un dolmen. "

  Une vingtaine de personnes sont présentes pour un dernier adieu. Lucette Destouches, Colette Turpin, Serge Perrault, Roger Nimier, Gaston Gallimard, venu avec un prêtre pour bénir le corps, Claude Gallimard, Marcel Aymé et ses éternelles lunettes fumées, Lucien Rebatet, Robert Poulet, l'acteur Jean-Roger Caussimon, le metteur en scène Max Revol, et Renée Cosima, l'épouse de Gwenn-Aël Bolloré, Arletty, retenue à Belle-Ile s'est excusée, mais sera présente à l'inhumation définitive en octobre. Selon certains témoins, Gen Paul se serait rendu au cimetière, mais aurait été éconduit par le personnel funéraire. L'enterrement est bref : " A peine au cimetière, le cercueil a été glissé dans la fosse. Quelques fleurs et c'en fut fini à jamais du docteur Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, dont la vie fut si longtemps pleine de bruit et de fureur. Il était à peine neuf heures du matin. " (Roger Grenier, D'un enterrement, l'autre).
  Une photographie publiée dans France-Soir représente Lucette Destouches et Colette Turpin côte à côte. Lucien Rebatet commentera ironiquement la cérémonie : " Nous avons tous jugé qu'il était parfaitement dans l'ordre de ce temps que le plus grand écrivain français d'aujourd'hui fût enterré ainsi, à la sauvette, par une poignée de copains, beaucoup plus pauvrement qu'un concierge. " (Lucien Rebatet, Journal).

 Le lendemain, 5 juillet 1961,un communiqué diffusé par l'agence France-Presse officialise la disparition de l'écrivain : " La mort de Louis-Ferdinand Céline - survenue samedi dernier, à 18 heures - avait été soigneusement cachée par sa femme et ses amis. Les obsèques ont eu lieu hier matin dans la plus stricte intimité. C'est à 8 h 45, sous une pluie fine, que le fourgon mortuaire a quitté la villa de Meudon pour gagner directement le cimetière. Une cinquantaine d'amis entouraient Madame Lucette Almanzor, veuve de l'écrivain. "
 La nouvelle est diffusée à la radio. Ultime visiteur connu à Meudon, Christian Dedet se rappelle le choc en entendant la nouvelle de la mort de l'écrivain à la radio : " Quelques instants plus tard, je reçois un coup de téléphone. C'est Henny Dory : " Tu vois Christian, je te l'avais bien dit qu'il allait mourir ! " (Témoignage de Ch. Dedet à l'auteur).

  Avec des degrés divers, la presse rendra compte de la disparition de l'écrivain. Mais de tous ces hommages, c'est Roger Nimier qui écrira le plus beau texte sur la mort de Céline. Texte d'autant plus beau qu'il est sobre et bref : " Le Voyage est fini. Louis-Ferdinand Céline est arrivé devant la nuit. Tant de guerres, tant de misères, tant de haines traînées après soi, tant de génie, tant de douceur secrète, c'est un mort bien lourd, sur des jambes fragiles. Le siècle lui avait fait l'honneur d'une trépanation et d'une médaille militaire. Il le laissera partir comme il l'avait reçu. On ne l'enfermera pas dans un Panthéon ou dans quelque nécropole littéraire. Il est parti tout seul dans la grande banlieue des morts. Il va peut-être retrouver Robinson, bien changé lui aussi, comme on se retrouvait au hasard d'une bataille.
 Céline est mort comme Proust, acharné à finir son dernier livre, Rigodon. Il est mort de fatigue, après avoir trop donné de lui, partout, par la sympathie des animaux souffrants les uns pour les autres. Mourir, quand on n'a pas d'imagination, ce n'est rien. Quand on en a, c'est trop. "
 (David Alliot, Madame Céline, Tallandier, janvier 2018, p.210).

 

 

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   La mort de Courtial des Pereires.

   La matinée allait finir, il devait être à peu près onze heures... Le vache facteur réapparaît... C'est moi qui l'aperçois le premier... Je regardais un peu par la fenêtre... Il se rapproche... Il rentre pas... Il reste planté là devant la porte... Il me fait signe à moi de sortir... qu'il veut me causer... que je fasse vite... Je bondis... Il me rejoint sous le porche, il me chuchote, il est en émoi...
 - Dépêche-toi ! Cavale voir ton vieux !... Il est là-bas sur la route, après le passage de la Druve... à la remontée de Saligons !... Tu sais la petite passerelle en bois ?... C'est là qu'il s'est tué !... Les gens des " Plaquets " ils l'ont entendu... Le fils Arton et la mère Jeanne... Il était juste après six heures... Avec son fusil... le gros... Ils m'ont dit de vous dire... Que tu l'enlèves si tu veux... Moi j'ai rien vu... t'as compris ?... Eux ils savent rien non plus... Ils ont entendu que le pétard... Et puis tiens voilà deux lettres... Elles sont toutes les deux pour lui...
  Il a même pas fait un " au-revoir "... Il est reparti le long du mur... Il avait pas pris son vélo, il a coupé à travers champs... Je l'ai vu rejoindre la route en haut, celle de Brion, par la forêt.

 (...) Après une grande traite en plat... à travers les molles cultures c'était une raide escalade à flanc de colline... Arrivés là, tout là-haut, on découvrait bien par exemple !... pour ainsi dire tout le paysage !... On soufflait pire que des bœufs avec la patronne... On s'est assis une seconde, au revers du remblai pour mieux dominer... Elle avait pas très bonne vue la pauvre baveuse... Mais moi je biglais de façon perçante... On me cachait absolument rien à vingt kilomètres d'oiseau... De là, du sommet, après la descente et la Druve qui coulait en bas... le petit pont et puis le petit crochet de la route... Là j'ai discerné alors en plein... au beau milieu de la chaussée, une espèce de gros paquet... Y avait pas d'erreur !... A peut-être trois kilomètres ça ressortait sur le gravier... Ah ! Et puis à l'instant même... Au coup d'œil... j'ai su qui c'était... A la redingote !... au gris... et puis au jaune rouille du grimpant... On s'est dépêché dare-dare... On a dévalé la côte... " Marchez toujours ! marchez toujours ! que j'ai dit... Suivez ! vous ! tout droit !... Moi je pique par là... par le sentier !... " Ça me coupait énormément ... J'étais en bas à la minute... Juste sur le tas... Juste devant...

 Il était tout racorni le vieux... ratatiné dans son froc... Et puis alors c'était bien lui !... Mais la tête était qu'un massacre !... Il se l'était tout éclatée... Il avait presque plus de crâne... A bout portant quoi !... Il agrippait encore le flingue... Il l'étreignait dans ses bras... Le double canon lui rentrait à travers la bouche, lui traversait tout le cassis... Ca embrochait toute la compote... Toute la barbaque en hachis !...
 (...) Le vieille elle a bien regardé tout... Elle restait là plantée devant... Elle a pas fait ouf !... Alors je me suis décidé... " On va le porter sur le remblai... " que j'ai dit comme ça... On s'agenouille donc tous les deux... On ébranle un peu d'abord tout le paquet... On essaye de décoller... On fait un peu de force... Je tiraille moi sur la tête... Ça se détache pas du tout !... On a jamais pu !... C'était adhérent bien de trop... Surtout des oreilles qu'étaient toutes soudées !... C'était pris comme un seul bloc avec les graviers et la glace...
 (Mort à crédit, Gallimard, 1990, p.619).  

 

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                La mort de sa concierge.

  Tout le chagrin des lettres, depuis vingt ans bientôt, s’est arrêté chez elle. Il est là dans l’odeur de la mort récente, l’incroyable aigre goût… Il vient d’éclore… Il est là… Il rôde… Il nous connaît, nous le connaissons à présent. Il ne s’en ira plus jamais. Il faut éteindre le feu dans la loge. A qui vais-je écrire ? Je n’ai plus personne. Plus un être pour recueillir doucement l’esprit gentil des morts… pour parler après ça plus doucement aux choses… Courage pour soi tout seul !
 
  Sur la fin ma vieille bignolle, elle ne pouvait plus rien dire. Elle étouffait, elle me retenait par la main… Le facteur est entré. Il l’a vue mourir. Un petit hoquet. C’est tout. Bien des gens sont venus chez elle autrefois pour me demander. Ils sont repartis loin, très loin dans l’oubli, se chercher une âme. Le facteur a ôté son képi. Je pourrais moi dire toute ma haine. Je sais. Je le ferai plus tard s’ils ne reviennent pas. J’aime mieux raconter des histoires. J’en raconterai de telles qu’ils reviendront, exprès, pour me tuer, des quatre coins du monde. Alors ce sera fini et je serai bien content.
  (Mort à crédit, Gallimard, 1952, p.12).

 

 

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       La mort de Gwendor le Magnifique.

  Il restait là Gustin, assoupi sur son escabeau, devant les échantillons, le placard béant… Il ne pipait plus… il ne voulait pas m’interrompre…
 - Il s’agit, que je l’ai prévenu, de Gwendor le Magnifique, Prince de Christianie… Nous arrivons… Il expire… au moment même où je te cause… Son sang s’échappe par vingt blessures… L’armée de Gwendor vient de subir une abominable défaite… Le Roi Krogold lui-même au cours de la mêlée a repéré Gwendor… Il l’a pourfendu… Il n’est pas fainéant Krogold… Il fait sa justice lui-même… Gwendor a trahi… La mort arrive sur Gwendor et va terminer son boulot… Ecoute un peu !
  
    « Le tumulte du combat s’affaiblit avec les dernières lueurs du jour… Au loin disparaissent les derniers Gardes du Roi Krogold… Dans l’ombre montent les râles de l’immense agonie d’une armée… Victorieux et vaincus rendent leurs âmes comme ils peuvent… Le silence étouffe tour à tour cris et râles, de plus en plus faibles, de plus en plus rares…
 - As-tu compris Gwendor ?
 - J’ai compris, ô Mort ! J’ai compris dès le début de cette journée… J’ai senti dans mon cœur, dans mon bras aussi, dans les yeux de mes amis, dans le pas même de mon cheval, un charme triste et lent qui tenait du sommeil… Mon étoile s’éteignait entre tes mains glacées…  Tout se mit à fuir ! O Mort ! Grands remords ! Ma honte est immense !... Regarde ces pauvres corps !... Une éternité de silence ne peut l’adoucir !...
 - Il n’est point de douceur en ce monde Gwendor ! rien que de légende ! Tous les royaumes finissent dans un rêve !...
 - O Mort ! Rends-moi un peu de temps… un jour ou deux ! Je veux savoir qui m’a trahi…
 - Tout trahit Gwendor… Les passions n’appartiennent à personne, l’amour, surtout, n’est que fleur de vie dans le jardin de la jeunesse.
  
   Et la mort tout doucement saisit le prince… Il ne se défend plus… Son poids s’est échappé… Et puis un beau rêve reprend son âme… Le rêve qu’il faisait souvent quand il était petit dans son berceau de fourrure, dans la chambre des Héritiers, près de sa nourrice la morave, dans le château du Roi René… »
   Gustin il avait les mains qui lui pendaient entre les genoux…
 - C’est pas beau ? que je l’interroge.
 (Mort à crédit, Gallimard, 1952, p.23).

 

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        La mort de Bébert.

 Elle a duré des semaines la maladie de Bébert. J'y allais deux fois par jour pour le voir. Les gens du quartier m'attendaient devant la loge, sans en avoir l'air et sur le pas de leurs maisons, les voisins aussi. C'était comme une distraction  pour eux. On venait pour savoir de loin si ça allait plus mal ou mieux. (...) Des conseils, j'en ai reçu beaucoup à propos de Bébert. Tout le quartier en vérité, s'intéressait à son cas. On parlait pour et puis contre mon intelligence. Quand j'entrais dans la loge, il s'établissait un silence critique et assez hostile, écrasant de sottise surtout. Elle était toujours remplie par des commères amies la loge, les intimes, et elle sentait donc fort le jupon et l'urine de lapin. Chacun tenait à son médecin préféré, toujours plus subtil, plus savant. Je ne présentais qu'un seul avantage moi, en somme, mais alors celui qui vous est difficilement pardonné, celui d'être presque gratuit, ça fait tort au malade et à sa famille un médecin gratuit, si pauvre soit-elle.
 
   Bébert ne délirait pas encore, il n'avait seulement plus du tout envie de bouger. Il se mit à perdre du poids chaque jour. Un peu de chair jaunie et mobile lui tenait encore au corps en tremblotant de haut en bas à chaque fois que son c
œur battait. On aurait dit qu'il était partout son cœur sous sa peau tellement qu'il était devenu mince Bébert en plus d'un mois de maladie. Il m'adressait des sourires raisonnables quand je venais le voir. Il dépassa ainsi très aimablement les 39 et puis les 40 et demeura là pendant des jours et puis des semaines, pensif.
  Il fallait pressentir que cette maladie tournerait mal. Une espèce de typhoïde maligne c'était, contre laquelle tout ce que je tentais  venait buter, les bains, le sérum... le régime sec... les vaccins... Rien n'y faisait. J'avais beau me démener, tout était vain. Bébert passait, irrésistiblement emmené, souriant. Il se tenait tout en haut de sa fièvre comme en équilibre, moi en bas à cafouiller. Bien entendu, on conseilla un peu partout et impérieusement encore à la tante de me liquider sans ambages et de faire appeler en vitesse un autre médecin, plus expérimenté, plus sérieux.

  (...) Passant devant la maison le soir j'entrais pour voir si tout ça n'était pas fini des fois. " Vous croyez pas que c'est avec la camomille au rhum qu'il a voulu boire chez la fruitière le jour de la course cycliste qu'il l'a attrapée sa maladie ? " qu'elle supposait tout haut la tante. Cette idée la tracassait depuis le début. Idiote. " Camomille ! " murmurait faiblement Bébert, en écho perdu dans la fièvre. A quoi bon la dissuader ? (...) Vers le dix-septième jour je me suis dit tout de même que je ferais bien d'aller demander ce qu'ils en pensaient à l'Institut Bioduret Joseph, d'un cas de typhoïde de ce genre, et leur demander en même temps un petit conseil et peut-être même un vaccin qu'ils me recommanderaient. Ainsi, j'aurais tout fait, tout tenté, même les bizarreries et s'il mourrait Bébert, eh bien, on n'aurait peut-être rien à me reprocher.
 
  (...) Pendant mon stage dans les écoles pratiques de la Faculté, Parapine m'avait donné quelques leçons de microscope et témoigné en diverses occasions de quelque réelle bienveillance. J'espérais qu'il ne m'avait depuis ces temps déjà lointains tout à fait oublié et qu'il serait à même de me donner peut-être un avis thérapeutique de tout premier ordre pour le cas de Bébert qui m'obsédait en vérité.
  Décidément, je me découvrais beaucoup plus de goût à empêcher Bébert de mourir qu'un adulte. On n'est jamais très mécontent qu'un adulte s'en aille, ça fait toujours une vache de moins sur la terre, qu'on se dit, tandis que pour un enfant, c'est tout de même moins sûr. Il y a l'avenir.     

  (...) Tout de même, j'aurais bien voulu être ailleurs et loin. J'aurais aussi voulu avoir des chaussons pour qu'on m'entende pas du tout rentrer chez moi. J'y étais cependant pour rien, moi, si Bébert n'allait pas mieux du tout. J'avais fait mon possible. Rien à me reprocher. C'était pas de ma faute si on ne pouvait rien dans des cas comme ceux-là. Je suis parvenu jusque devant sa porte, et je le croyais, sans avoir été remarqué. Et puis, une fois monté, sans ouvrir les persiennes j'ai regardé par les fentes pour voir s'il y avait toujours des gens à parler devant chez Bébert. Il en sortait encore quelques-uns des visiteurs de la maison, mais ils n'avaient pas le même air qu'hier les visiteurs. Une femme de ménage des environs, que je connaissais bien, pleurnichait en sortant.
  " On dirait décidément que ça va encore plus mal, que je me disais. En tout cas, ça va sûrement pas mieux... Peut-être qu'il est déjà passé ? que je me disais. Puisqu'il y en a une qui pleure déjà !... " La journée était finie.
 
  Je cherchais quand même si j'y étais pour rien dans tout ça. C'était froid et silencieux chez moi. Comme une petite nuit dans un coin de la grande, exprès pour moi tout seul. De temps en temps montaient des bruits de pas et l'écho entrait de plus en plus fort dans ma chambre, bourdonnait, s'estompait... Silence. Je regardais encore s'il se passait quelque chose dehors, en face. Rien qu'en moi que ça se passait, à me poser toujours la même question.
  J'ai fini par m'endormir sur la question, dans ma nuit à moi, ce cercueil, tellement j'étais fatigué de marcher et de ne trouver rien.
  (Voyage au bout de la nuit, Livre de poche, 1956, p. 277).

 

 

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              La mort d'Henrouille.

  Il était couché justement dans le même lit où j'avais soigné Robinson après son accident, quelques mois auparavant. En quelques mois ça change une chambre, même quand on n'y bouge rien. (...) La femme nous laissa seuls avec le mari. Il n'était pas brillant le mari. Il n'avait plus beaucoup de circulation. C'est au cœur que ça le tenait.
 - Je vais mourir, qu'il répétait, bien simplement, d'ailleurs. J'avais pour me trouver dans des cas de ce genre une espèce de veine de chacal. Je l'écoutais battre son c
œur, question de faire quelque chose dans la circonstance, les quelques gestes qu'on attendait. Il courait son cœur, on pouvait le dire, derrière ses côtes, enfermé, il courait après la vie, par saccades, mais il avait beau bondir, il ne la rattraperait pas la vie. C'était cuit. Bientôt à force de trébucher, il chuterait dans la pourriture, son cœur, tout juteux, en rouge et bavant telle une vieille grenade écrasée. C' est ainsi qu'on le verrait son cœur flasque, sur le marbre, crevé au couteau après l'autopsie, dans quelques jours.
  (...) On l'attendait au détour, dans le quartier sa femme avec tous les cancans accumulés de l'affaire précédente qui restaient sur le carreau.
Ça serait pour un peu plus tard. Pour l'instant, le mari il ne savait pas comment se tenir, ni mourir. Il en était déjà comme un peu sorti de la vie, mais il n'arrivait pas tout de même à se défaire de ses poumons. Il chassait l'air, l'air revenait. Il aurait bien voulu se laisser aller, mais il fallait qu'il vive quand même jusqu'au bout. C'était un boulot bien atroce, dont il louchait.
 - Je sens plus mes pieds, qu'il geignait... J'ai froid jusqu'aux genoux... Il voulait se les toucher les pieds, il pouvait plus.
 Pour boire, il n'arrivait pas non plus. C'était presque fini. En lui passant la tisane préparée par sa femme, je me demandais ce qu'elle pouvait y avoir mis dedans. Elle ne sentait pas très bon la tisane, mais l'odeur n'est pas une preuve, la valériane sent très mauvais par elle-même. Et puis à étouffer comme il étouffait le mari, ça n'avait plus beaucoup d'importance qu'elle soye bizarre la tisane. Il se donnait pourtant bien de la peine, il travaillait énormément, avec tout ce qui lui restait de muscles sous la peau, pour arriver à souffrir et souffler davantage. Il se débattait autant contre la vie que contre la mort.
Ça serait juste d'éclater dans ces cas-là. Quand la nature se met à s'en foutre on dirait qu'il n'y a plus de limites.

  Derrière la porte, sa femme écoutait la consultation que je lui donnais, mais je la connaissais bien moi, sa femme. En douce, j'ai été la surprendre.
 " Cuic ! Cuic ! " que je lui ai fait. Ça l'a pas vexée du tout et elle est même venue alors me parler à l'oreille :
 - Faudrait, qu'elle me murmure, que vous lui fassiez enlever son râtelier... Il doit le gêner pour respirer son râtelier... - Moi je voulais bien qu'il l'enlève en effet son râtelier.
 - Mais dites-le lui donc vous-même ! que je lui ai conseillé. C'était délicat comme commission à faire dans son état.
 - Non ! non ! ça serait mieux de votre part ! qu'elle insiste. De moi, ça lui ferait quelque chose que je sache...
 - Ah ! que je m'étonne, pourquoi ?
 - Y a trente ans qu'il en porte un et jamais il m'en a parlé...
 - On peut peut-être le lui laisser alors ? que je propose. Puisqu'il a l'habitude de respirer avec...
 - Oh ! non, je me le reprocherais ! qu'elle m'a répondu avec comme une certaine émotion dans la voix...
 Je retourne en douce alors dans la chambre. Il m'entend revenir près de lui le mari. Ça lui fait plaisir que je revienne. Entre les suffocations il me parlait encore, il essayait même d'être un peu aimable avec moi. Il me demandait de mes nouvelles, si j'avais trouvé une autre clientèle... " Oui, oui " que je lui répondais à toutes ces questions. Ça aurait été bien trop long et trop compliqué pour lui expliquer les détails. C'était pas le moment.

  Dissimulée par le battant de la porte, sa femme me faisait des signes pour que je lui redemande encore d'enlever son râtelier. Alors je m'approchai de son oreille au mari et je lui conseillai à voix basse de l'enlever. Gaffe ! " Je l'ai jeté aux cabinets !... " qu'il fait alors avec des yeux plus effrayés encore. Une coquetterie en somme. Et il râle un bon coup après ça.
 On est artiste avec ce que l'on trouve. Lui c'était à propos de son râtelier qu'il s'était donné du mal esthétique pendant toute sa vie. Le moment des confessions. J'aurai voulu qu'il en profite pour me donner son avis sur ce qui était arrivé à propos de sa mère. Mais il pouvait plus. Il battait la campagne. Il s'est mis à baver énormément. La fin. Plus moyen d'en sortir une phrase. Je lui essuyai la bouche et je redescendis. Sa femme dans le couloir en bas n'était pas contente du tout et elle m'a presque engueulé à cause du râtelier, comme si c'était ma faute.
 - En or ! qu'il était Docteur... Je le sais ! Je sais combien il l'a payé !... On n'en fait plus des comme ça !... Toute une histoire. " Je veux bien remonter essayer encore " que je lui propose tellement j'étais gêné. Mais alors seulement avec elle !
  Cette fois-là, il ne nous reconnaissait presque plus le mari. Un petit peu seulement. Il râlait moins fort quand on était près de lui, comme s'il avait voulu entendre tout ce qu'on disait ensemble, sa femme et moi.
  Je ne suis pas venu à l'enterrement. Y a pas eu d'autopsie comme je l'avais redouté un peu. Ça s'est passé en douce. Mais n'empêche qu'on s'était fâchés pour de bon tous les deux, avec la veuve Henrouille, à propos du râtelier.
 (Voyage au bout de la nuit, Livre de poche, 1956, p. 371).

 

 

                                                                                                                          *********

 

 

       La mort de Robinson.

 Et puis elle a essayé le grand jeu : " Tu viens ? qu'elle lui a fait. Tu viens Léon ? Un ?... Tu viens-t-y ? Deux ?... " Elle a attendu. " Trois ?... Tu viens pas alors ?... " " Non ! " qu'il lui a répondu, sans bouger d'un pouce. " Fais comme tu veux ! " qu'il a même ajouté. C'était une réponse.
  Elle a dû se reculer un peu sur la banquette, tout au fond. Elle devait tenir le révolver à deux mains parce que quand le feu lui est parti c'était comme tout droit de son ventre et puis presque ensemble encore deux coups, deux fois de suite... De la fumée poivrée alors qu'on a eue plein le taxi.
  On roulait encore quand même. C'est sur moi qu'il est retombé Robinson, sur le côté, par saccades, en bafouillant. " Hop ! et Hop ! " Il arrêtait pas de gémir " Hop ! et Hop ! " Le chauffeur avait sûrement entendu.
 (...) Dans le ventre qu'il avait reçu les deux balles Robinson, peut-être les trois, je ne savais pas encore au juste combien. Elle avait tiré droit devant elle ça je l'avais vu. Ça ne saignait pas, les blessures. Entre Sophie et moi malgré qu'on le retienne, il cahotait tout de même beaucoup, sa tête baladait. Il parlait, mais c'était difficile de le comprendre. C'était déjà du délire. " Hop ! et Hop ! " qu'il continuait de chantonner. Il aurait eu le temps de mourir avant qu'on arrive.
  La rue était nouvellement pavée. Dès que nous fûmes devant notre grille, j'ai envoyé la concierge chercher Parapine dans sa chambre, en vitesse. Il est descendu tout de suite et c'est avec lui et un infirmier que nous avons pu monter Léon jusque dans son lit. Une fois déshabillé on a pu l'examiner et tâter la paroi du ventre. Elle était déjà bien tendue la paroi sous les doigts, à la palpation et même mat par endroits. Deux trous l'un au-dessus de l'autre que j'ai retrouvés, pas de troisième, l'une des balles avait dû se perdre.
  Si j'avais été à la place à Léon, j'aurais préféré pour moi une hémorragie interne, ça vous inonde le ventre, c'est rapidement fait. On se remplit le péritoine et on n'en parle plus. Tandis que pour une péritonite, c'est de l'infection en perspective, c'est long.

 (...) Il a repris un peu de ses sens quand Parapine lui a eu fait sa piqure de morphine. Il nous a même raconté des choses alors à propos de ce qui venait d'arriver. " C'est mieux que ça se finisse comme ça... " qu'il a dit, et puis : " Ça fait pas si mal que j'aurais cru... "
 (...) C'est comme s'il essayait de nous aider à vivre à présent nous autres. Comme s'il nous avait cherché à nous des plaisirs pour rester. Il nous tenait par la main. Chacun une. Je l'embrassai. Il n'y a plus que ça qu'on puisse faire sans se tromper dans ces cas-là. On a attendu. Il a plus rien dit. Un peu plus tard, une heure peut-être, pas davantage, c'est l'hémorragie qui s'est décidée, mais alors abondante, interne, massive. Elle l'a emmené. Son cœur s'est mis à battre de plus en plus vite et puis tout à fait vite. Il courait son cœur après son sang, épuisé, là-bas, minuscule déjà, tout à la fin des artères, à trembler au bout des doigts. La pâleur lui est montée du cou et lui a pris toute la figure. Il a fini en étouffant. Il est parti d'un coup comme s'il avait pris son élan, en se resserrant sur nous deux, des deux bras.

  Et puis il est revenu là, devant nous, presque tout de suite, crispé, déjà en train de prendre tout son poids de mort. On s'est levé nous, on s'est dégagé de ses mains. Elles sont restées en l'air ses mains, bien raides, dressées toutes jaunes et bleues sous la lampe.
  Dans la chambre ça faisait comme un étranger à présent Robinson, qui viendrait d'un pays atroce et qu'on n'oserait plus lui parler.
 (Voyage au bout de la nuit, Livre de poche, 1956, p. 489).

 

 

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         Celle de Metitpois.

 A la manière qu'il a, Gustin, de retourner les mains quand il pionce c'est facile de lui voir l'avenir. Y a le poil et tout l'homme dans les poignes. Chez Gustin c'est sa ligne de vie qu'est plutôt en force. Chez moi, ça serait plutôt la chance et la destinée. Je suis pas fadé question longueur d'existence... Je me demande pour quand ça sera ? J'ai un sillon au bas du pouce... Ça sera-t-il une artériole qui pétera dans l'encéphale ? Au détour de la Rolandique ?... Dans le petit repli de la " troisième " ?... On l'a souvent regardé avec Metitpois à la Morgue cet endroit-là... Ça fait minuscule un ictus... Un petit cratère comme une épingle dans le gris des sillons... L'âme y a passé, le phénol et tout. Ça sera peut-être hélas un néo-fongueux du rectum... Je donnerais beaucoup pour l'artériole... A la bonne vôtre !... Avec Metitpois, un vrai maître, on y a passé bien des dimanches à fouiller comme ça les sillons... pour les manières qu'on a de mourir... Ça le passionnait ce vieux daron... Il voulait se faire une idée. Il faisait tous les vœux personnels pour une inondation pépère des deux ventricules à la fois quand sa cloche sonnerait... Il était chargé d'honneurs !... " Les morts les plus exquises, retenez bien ceci Ferdinand, ce sont celles qui nous saisissent dans les tissus les plus sensibles... "

  Il parlait précieux, fignolé, subtil, Metitpois, comme les hommes des années Charcot. Ça lui a pas beaucoup servi de prospecter la Rolandique, la " troisième " et le noyau gris... Il est mort du cœur finalement, dans des conditions pas pépères... d'un grand coup d'angine de poitrine, d'une crise qu'à duré vingt minutes. Il a bien tenu cent vingt secondes avec tous ses souvenirs classiques, ses résolutions, l'exemple à César... mais pendant dix-huit minutes il a gueulé comme un putois... Qu'on lui arrachait le diaphragme, toutes les tripes vivantes... Qu'on lui passait dix mille lames ouvertes dans l'aorte... Il essayait de nous les vomir... C'était pas du charre. Il rampait pour ça dans le salon... Il se défonçait la poitrine... Il rugissait dans son tapis... Malgré la morphine. Ça résonnait dans les étages jusque devant sa maison... Il a fini sous le piano. Les artérioles du myocarde quand elles éclatent une par une, c'est une harpe pas ordinaire... C'est malheureux qu'on revienne jamais de l'angine de poitrine. Y aurait de la sagesse et du génie pour tout le monde.
  (Mort à crédit, Gallimard, 1990, p.26).  

 

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            Des pigeons.

 (...) Mais nos pauvres pigeons voyageurs, à partir de ce moment-là, ils avaient plus bien raison d'être... On les nourrissait pas beaucoup depuis déjà plusieurs mois... parfois seulement tous les deux jours... et ça revenait quand même très cher !... Les graines, c'est toujours fort coûteux, même achetées en gros... Si on les avait revendus... sûrement qu'ils auraient rappliqué comme je les connaissais... Jamais ils se seraient accoutumés à des autres patrons... C'était des braves petites bêtes loyales et fidèles... Absolument familiales... Ils m'attendaient dans la soupente... Dès qu'ils m'entendaient remuer l'échelle... ils roucoulaient double !... Courtial il nous parlait déjà de se les taper à la " cocotte "... Mais je ne voulais pas les donner à n'importe qui... Tant qu'à faire de les occire, j'aimais mieux m'en charger moi-même !...

   J'ai réfléchi à un moyen... J'ai pensé comme si c'était moi... Moi j'aimerais pas au couteau... non !... j'aimerais pas à être étranglé... non... ! J'aimerais pas être écartelé... détripé... fendu en quatre !...
Ça me faisait quand même un peu de peine !... Je les connaissais extrêmement bien... Mais y avait plus à démordre... Il fallait se résoudre à quelque chose... J'avais plus de graines depuis quatre jours... Je suis donc monté un tantôt comme ça vers quatre heures. Ils croyaient que je ramenais de la croûte... Ils avaient parfaitement confiance... Ils gargouillaient à toute musique... Je leur fais : " Allez ! radinez-vous, les glouglous ! C'est la foire qui continue. Pour la balade, en voiture !... " Ils connaissaient ça fort bien... J'ouvre tout grand leur beau panier, le rotin des ascensions... Ils se précipitent tous ensemble... Je ferme bien la tringle... Je passe encore des cordes dans les anses... Je ligote en large, en travers... Ainsi c'était prêt... Je laisse le truc d'abord dans le couloir. Je redescends un peu... Je dis rien à Courtial... J'attends qu'il s'en aille prendre son dur... J'attends encore après le dîner... La Violette me tape au carreau... Je lui réponds : " Reviens donc plus tard... gironde... Je pars en course dans un moment !... " Elle reste... elle rouscaille...
 - Je veux te dire quelque chose, Ferdinand ! qu'elle insiste comme ça...
 - Barre ! que je lui fais...

  Alors je monte chercher mes bestioles... Je les redescends de la soupente. Je me mets le panier sur la tête... et je m'en vais en équilibre... Je sors par la rue Montpensier... Je traverse tout le Carroussel... Arrivé au quai Voltaire, je repère bien l'endroit... Je vois personne du tout... Sur la berge, en bas des marches... J'attrape un pavé, un gros... Je l'amarre à mon truc... Je regarde bien encore autour... J'agrafe tout le fourbi à deux poignes et je le balance en plein jus... Le plus loin que je peux... Ça a pas fait beaucoup de bruit... J'ai fait ça automatique...
  Le lendemain matin, Courtial, je lui ai cassé net le morceau... J'ai pas attendu... J'ai pas pris trente-six tournures... Il a rien eu à répondre... Elle non plus d'ailleurs, la chérie, qu'était aussi dans le magasin... Ils ont bien vu à mon air que c'était pas du tout le moment de venir me faire chier la bite.
 (Mort à crédit, Gallimard, 1990, p.490).   

 

 

                                                                                                    *********


 

            De sa grand'mère Caroline.

  En arrivant au guichet, elle a eu un étourdissement Grand'mère Caroline, elle s'est raccrochée à la rampe... C'était pas dans ses habitudes... Elle a ressenti plein de frissons... On a retraversé la place, on est entré dans un café... En attendant l'heure du train, on a bu un grog à nous deux... En arrivant à Saint-Lazare, elle est allée se coucher tout de suite, directement... Elle en pouvait plus... La fièvre l'a saisie, une très forte, comme moi j'avais eu au Passage, mais elle alors c'était la grippe et puis ensuite la pneumonie... Le médecin venait matin et soir... Elle est devenue si malade qu'au Passage, nous autres, on ne savait plus quoi répondre aux voisins qui nous demandaient.
 L'oncle Edouard faisait la navette entre la boutique et chez elle... L'état s'est encore aggravé... Elle voulait plus du thermomètre, elle voulait même plus qu'on sache combien ça faisait... Elle a gardé tout son esprit. Tom, il se cachait sous les meubles, il bougeait plus, il mangeait à peine... Mon oncle est passé à la boutique, il remportait de l'oxygène dans un grand ballon.
  Un soir, ma mère est même pas revenue pour dîner... Le lendemain, il faisait nuit encore quand l'oncle Edouard m'a secoué au plume pour que je me rhabille en vitesse. Il m'a prévenu... C'était pour embrasser Grand'mère... Je comprenais pas encore très bien... J'étais pas très réveillé... On a marché vite... C'est rue du Rocher qu'on allait... à l'entresol... La concierge s'était pas couchée... Elle arrivait avec une lampe exprès pour montrer le couloir... En haut, dans la première pièce, y avait maman à genoux, en pleurs contre une chaise. Elle gémissait tout doucement, elle marmonnait de la douleur... Papa, il était resté debout... Il disait plus rien... Il allait jusqu'au palier, il revenait encore... Il regardait sa montre... Il trifouillait sa moustache... Alors j'ai entrevu Grand'mère dans son lit dans la pièce plus loin... Elle soufflait dur, elle raclait, elle suffoquait, elle faisait un raffut infect... Le médecin juste, il est sorti... Il a serré la main de tout le monde... Alors moi, on m'a fait entrer... Sur le lit, j'ai bien vu comme elle luttait pour respirer. Toute jaune et rouge qu'était maintenant sa figure avec beaucoup de sueur dessus, comme un masque qui serait en train de fondre...

  Elle m'a regardé bien fixement, mais encore aimablement Grand'mère... On m'avait dit de l'embrasser... Je m'appuyais déjà sur le lit. Elle m'a fait un geste que non... Elle a souri encore un peu... Elle a voulu me dire quelque chose... Ça lui râpait le fond de la gorge, ça finissait pas... Tout de même elle y est arrivée... le plus doucement qu'elle a pu... " Travaille bien mon petit Ferdinand ! " qu'elle a chuchoté... J'avais pas peur d'elle... On se comprenait au fond des choses... Après tout c'est vrai en somme, j'ai bien travaillé... Ça regarde personne...
  A ma mère, elle voulait aussi dire quelque chose. " Clémence ma petite fille... fais bien attention... te néglige pas... je t'en prie... " qu'elle a pu prononcer encore... Elle étouffait complètement... Elle a fait signe qu'on s'éloigne... Qu'on parte dans la pièce à côté... On a obéi... On l'entendait...
Ça remplissait l'appartement... On est restés une heure au moins comme ça contractés... L'oncle il retournait à la porte... Il aurait bien voulu la voir. Il osait pas désobéir. Il poussait seulement le battant, on l'entendait davantage... Il est venu une sorte de hoquet... Ma mère s'est redressée d'un coup... Elle a fait un ouq ! Comme si on lui coupait la gorge. Elle est retombée comme une masse, en arrière sur le tapis entre le fauteuil et mon oncle... La main si crispée sur sa bouche, qu'on ne pouvait plus la lui ôter...
  Quand elle est revenue à elle : " Maman est morte !... " qu'elle arrêtait pas de hurler... Elle savait plus où elle se trouvait... Mon oncle est resté pour veiller... On est repartis, nous, au Passage, dans un fiacre...

  On a fermé notre boutique. On a déroulé tous les stores... On avait comme une sorte de honte... Comme si on était des coupables... On osait plus du tout remuer, pour mieux garder notre chagrin... On pleurait avec maman, à même sur la table... On n'avait pas faim... Plus envie de rien... On tenait déjà pas beaucoup de place et pourtant on aurait voulu pouvoir nous rapetisser toujours... Demander pardon à quelqu'un, à tout le monde... On se pardonnait les uns aux autres... On suppliait qu'on s'aimait bien... On avait peur de se perdre encore... pour toujours... comme Caroline...
  Et l'enterrement est arrivé... L'oncle Edouard, tout seul, s'était appuyé toutes les courses. Il avait fait toutes les démarches... Il en avait aussi de la peine... Il la montrait pas... Il était pas démonstratif... Il est venu nous prendre au Passage, juste au moment de la levée du corps...
  Tout le monde... les voisins... des curieux... sont venus pour nous dire : " Bon courage ! " On s'est arrêtés rue Deaudeville pour chercher nos fleurs... On a pris ce qu'il y avait de mieux... Rien que des roses... C'étaient ses fleurs préférées...
  (Mort à crédit, Gallimard, 1990, p.109).

 

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    La mort de Nora Merrywin.

 Je me trouve étreint dans l'élan !... congestionné, raplati sous les caresses... Je suis trituré, je n'existe plus... C'est elle, toute la masse qui me fond sur la pêche... ça glue... J'ai la bouille coincée, j'étrangle... Je proteste... j'implore... J'ai peur de gueuler trop fort... Le vieux peut entendre !... (...) C'est une avalanche de tendresses... Je m'écroule sous les baisers fous, les liches, les saccades... J'ai la figure en compote... (...) J'ai les mains qui enflent tellement je lui cramponne les fesses ! Je veux l'amarrer ! qu'elle bouge plus ! C'est fait ! Voilà ! Elle parle plus alors ! Putain de Dieu ! J'enfonce ! Je rentre dedans comme un souffle ! Je me pétrifie d'amour !... Je ne fais plus qu'un dans sa beauté !... Je suis transi, je gigote... Je croque en plein dans son nichon ! Elle grogne... elle gémit... Je suce tout... Je lui cherche dans la figure l'endroit précis près du blaze, celui qui m'agace, de sa magie du sourire... Je vais lui mordre là aussi... surtout... Une main, je lui passe dans l'oignon, je la laboure exprès... j'enfonce... je m'écrabouille dans la lumière et la bidoche... Je jouis comme une bourrique... Je suis en plein dans la sauce... Elle me fait une embardée farouche... Elle se dégrafe de mes étreintes, elle s'est tirée la salingue !... elle a rebondi pile en arrière... Ah merde ! Elle est déjà debout !... Elle est au milieu de la pièce !... Elle me fait un discours !... Je la vois dans le blanc du réverbère !... en chemise de nuit... toute redressée !... ses cheveux qui flottent... Je reste là, moi, en berloque avec mon panais tendu...
  Je lui fais : " Reviens donc !... " J'essaye comme ça de l'amadouer. Elle semble furieuse d'un seul coup ! Elle crie, elle se démène... Elle recule
encore vers la porte... Elle me fait des phrases, la charogne !... " Good-bye, Ferdinand ! qu'elle gueule, Good-bye ! Live well, Ferdinand ! Live well !... " C'est pas des raisons...

  J'entends la porte en bas qui s'ouvre et qui reflanque brutalement... ! Je me précipite ! Je soulève la guillotine... J'ai juste le temps de l'apercevoir qui dévale au bord de l'impasse... sous les becs de gaz... Je vois ses mouvements, sa liquette qui frétille au vent... Elle débouline les escaliers... La folle ! Où qu'elle trisse ? (...) " Elle va se foutre à présent au jus !... " Je regarde par la lourde du couloir... si je l'aperçois pas sur les quais... Elle doit être parvenue en bas... Encore un coup ! encore des cris !... et puis des " Ferdinand " !... des autres... des clameurs qui traversent le ciel !...
 (...) Une fois dehors, dans l'impasse, je me penche au-dessus des rocailles, j'essaye de revoir jusqu'au pont, dessous les lumières...Où ça qu'elle peut bagotter ? En effet ! je l'aperçois bien... c'est une tache...
Ça vacille à travers les ombres... Une blanche qui virevolte... C'est la môme sûrement, c'est ma folle ! Voltige d'un réverbère à l'autre...Ça fait papillon la charogne !... Elle hurle encore par-ci par-là, le vent rapporte les échos... Et puis un instant c'est un cri inouï, alors un autre, un atroce qui monte dans toute la vallée... " Magne enfant ! que je rambine le gniard ! Elle a sauté notre Lisette ! Jamais qu'on y sera ! C'est nous les bons pour la mouillette ! Ta vas voir Toto ! Tu vas voir ! "

  Je m'élance, je déferle à travers les marches, les espaces... Flac ! Comme ça ! D'un coup pile !... En plein au milieu de l'escalier ! Mon sang fait qu'un tour !... La réflexion qui me saisit. Je bloque ! Je trembloche ! Ça va ! Ça suffit ! J'avance plus d'un pas !... Des clous ! Je me ravise ! Je gafe !... Je me repenche un coup sur la rampe ! J'aperçois... C'est plus très bas l'endroit du quai d'où ça venait... Ça grouille à présent tout autour !... Le monde rapplique de partout !...
  (...) Le petit carré blanc dans les vagues... il est emporté toujours plus... Je la vois, moi, encore, d'où je suis, très bien dans le milieu des eaux... elle passe au large des pontons... J'entends même comme elle suffoque... J'entends bien son gargouillis... J'entends encore les sirènes... Je l'entends trinquer à travers... Elle est prise par la marée... Elle est emmenée dans les remous...Ce petit bout de blanc dépasse le môle ! O ma tante ! O merde afur ! Elle a sûrement tout trinqué !... Accélère que je rambine le fiotte ! que je lui bourre le train au mignard ! Faut pas qu'on nous retrouve dehors !... Qu'on soye planqués quand ils reviennent... Ah dis donc ! 
  (Mort à crédit, Gallimard, 1990, p.315).

 

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                   Ce 1er juillet 1961...

  Chaleur d’été. Paris en stagnation : presque une nécropole où ne viennent que les étrangers. Des boulangeries fermées d’où l’odeur du pain s’est envolée et des canalisations éventrées par les travaux. Tous les habitants sont partis pour célébrer l’exode annuel à la campagne ou à la mer. La route des Gardes se déploie au soleil, plonge dans la brume, serpente depuis Versailles jusqu’au lointain palais du Louvre. Ancienne route des rois de France. Flanquée à présent de modestes pavillons, avec les usines Renault en bas. Seuls les pavés d’autrefois demeurent et aussi la splendeur continue de la vallée de la Seine. La route se traîne le long de clôtures de maçonnerie et de villas en mauvais état, puis s’élève à un sentier étroit, presque dissimulé à la vue.

   Une rude montée conduit à trois maisons identiques. Style Louis-Philippe, séparées par des jardins  et de vieux arbres. Elles dominent le paysage au-dessous d’elles. Rappel de la noblesse d’antan. La dernière (« Villa Maïtou ») est fermée par de hautes portes jaunes. Elle est haute et crépie sur un soubassement de pierre. Une allée pavée de dalles de ciment rose contourne le gazon par la droite. Ce qui frappe le plus, en montant cette allée, c’est le contraste entre le style du pavillon Louis-Philippe et les peintures bleu piscine des barrières. C’est là que vivent depuis dix ans Louis-Ferdinand Destouches et son épouse Lucette.

   La vue sur Paris et la Seine a emporté un choix qui par ailleurs déroute. La cuisine est à l’entresol, Céline travaille et dort au rez-de-chaussée, Lucette a aménagé les deux étages supérieurs pour la danse. La vue profite surtout au studio. Le confort est très relatif, le chauffage central existe mais l’installation est ancienne et on ne l’allume pas souvent. On a ajouté des chauffages au gaz.

   Nul chauffage nécessaire en ce 1er juillet 1961 : une vague de chaleur submerge la France. La veille, il a fait plus de 32° à Paris et la météo annonce qu’il fera encore plus chaud aujourd’hui,  avec une tendance orageuse accrue. Ce temps est dû à la présence d’un anticyclone, solidement ancré sur l’Europe centrale et qui commande sur l’hexagone un chaud flux du sud.

   Le grand soleil de la veille ramène une aurore presque incandescente. Villa Maïtou, les chiens, les chats, le perroquet s’ébrouent déjà dans l’ombre de la maison.  Les journaux du matin regorgent de publicités pour les boissons rafraîchissantes – le ¼ Ricqlès ou le « Tonic Water » de Perrier – et les glaces Motta à la crème fraîche, « désormais fabriquées en Normandie ».

   À propos de l’Algérie, De Gaulle confie en privé que « la seule solution raisonnable reste l’association. » Et d’ajouter : « Si tout accord avec le GPRA (= Gouvernement provisoire de la République algérienne) est impossible, nous regrouperons les Français autour d’Alger et d’Oran. » Céline a fini par considérer la guerre d’Algérie comme un événement mineur en comparaison des problèmes Est-Ouest et surtout de celui posé par la Chine. Dixit un confrère, le docteur Robert Brami, familier du 25ter route des Gardes. Dans quelques jours, trois mois  après les accords d’Evian et deux jours après le référendum d’autodétermination en Algérie, le président de la République annoncera officiellement la reconnaissance par la France de l’indépendance de l’Algérie. Si les attentats au plastic se multiplient à Alger, le pire est encore à venir… En métropole, la majorité des Français n’en ont cure. Le grand rush des vacances a commencé en ce premier week-end de juillet. Les citadins s’en vont, sous la chaleur, à la recherche du calme, de la fraîcheur, de l’eau… C’est le Tour de France qui passionne les foules. La veille, le Belge Planckaert a fait cavalier seul au Ballon d’Alsace et a gagné, détaché, à Belfort.

   Oui, l’été a surgi, torride. Depuis quelques jours, Céline se retire sous la pierre de sa maison, brûlante comme la Casbah. Il ne supporte plus le soleil, sortant au crépuscule : « Je vais aux commissions. » Il rapporte la viande des bêtes, marcheur qui a perdu son ombre. Les gens de Meudon en le croisant auraient pu dire, comme les habitants de Vérone au sujet de Dante : « Eccovi l’uom ch’è stato all Inferno » (Voyez, l’homme qui a été en enfer).

   Un autre médecin, André Willemin, lui rend régulièrement visite : « Il s’est enfermé dans cette villa de Meudon comme dans un fortin… Sa carcasse ne l’intéresse plus, lui qui a été un athlète et un cuirassier héroïque de 14. Il l’abandonne aux intempéries… Il ne trouve jamais plus de deux à trois heures d’un sommeil constamment interrompu. Après minuit, il erre dans la maison... »

   « Quand il s’arrête de travailler, dit Lucette, il a le sang à la tête, les mains qui tremblent, les jambes qui flageolent, il me fait peur. » — « Je te dis que je vais crever ! » répète Céline…

   Chaleur étouffante dès le matin de ce samedi 1er juillet. Lucette, levée à six heures, trouve Louis à la cave, à la recherche d’un peu de fraîcheur, l’air absent. Il accepte de remonter dans sa chambre et de s’allonger. Il lui dit : « Ferme tout. Je ne peux pas supporter la lumière ». Cette photophobie annonce l’hémorragie cérébrale qui va le foudroyer quelques heures plus tard…

  En fin de matinée, Serge Perrault passe, comme il le fait souvent, mais Céline refuse de le voir. Il ne veut voir personne. Au tout début de l’après-midi, Marie-Claude et Rose de France viennent travailler avec Lucette au premier étage. Vers quinze heures, Marie-Claude descend dans la chambre de Céline pour boire une tasse de thé. Il se sent un peu mieux et plaisante gentiment.

  « Ce jour-là, il se plaignit de la tête plus que d’habitude. Je lui ai appliqué des compresses. Il s’est allongé, nu, tellement il avait chaud. Et son bras droit est devenu glacé, ce qui était étonnant par une journée aussi caniculaire. Le sang n’y circulait plus. Je pense que l’hémorragie cérébrale du côté gauche était déjà commencée. Tout de suite, j’ai deviné que la crise était anormale. J’ai voulu appeler un médecin mais son médecin traitant n’était pas là. J’ai pensé à Willemin. Louis m’a dit : “Je te défends de l’appeler, je ne veux pas, je veux qu’on me laisse crever tranquille, je ne veux ni piqûre ni médecin, je ne veux plus rien ” ». Tout devait suivre la nature jusqu’au bout.

  À la fin de l’après-midi, sa poitrine se soulève douloureusement pour des inspirations de plus en plus saccadées et courtes. Il suffoque. Vers dix-huit heures, sa poitrine se soulève une dernière fois. Au-dehors, un soleil toujours éclatant, et, dans la maison, une étrange impression de silence et d’apaisement. Étrange ? Pourquoi ?... Au bout d’un moment, on comprend que les animaux se sont tus. Il n’y a plus un aboiement, les chats sont invisibles, cachés, il n’y a plus un pépiement d’oiseaux. Toto le perroquet ne parle plus… Il va rester des mois sans parler…

   Quelques jours auparavant, Christian Dedet, jeune confrère et romancier comme lui, est l’un des derniers à avoir une vraie conversation avec Céline :

« Je lui ai rendu visite vingt-quatre heures avant sa mort. J’ai été frappé parce qu’il faisait une canicule épouvantable ce jour-là et lui, il avait plusieurs tricots de laine. En plus de tout ça, il grelottait, il avait froid. Il s’asseyait, il se levait parce qu’il tenait en place nulle part, il avait des douleurs partout, il était très arthrosique, et en plus il avait des sifflements dans l’oreille, des maux de tête. J’ai pensé qu’il avait le centre de la régulation thermique atteint, peut-être par une tumeur du cerveau, peut-être par l’évolution en sclérose de son artério-sclérose cérébrale dont officiellement il est mort mais je me demande s’il n’avait pas une tumeur au cerveau. »

  « La mort, disait Céline à la fin de sa vie, m’est toujours présente. À chaque seconde de ma vie, je l’ai vue et je la vois, en moi, en face de moi. Tout homme qui me parle est à mes yeux un mort ; un mort en sursis, si vous voulez ; un vivant par hasard et pour un instant. Quant à ma mort à moi, c’est ce que j’ai de plus présent, de plus conscient. Ma grande préoccupation, pour le moment, n’est-elle pas de protéger ma femme, autant que possible, contre les désagréments qui peuvent l’atteindre quand je ne serai plus ? Travaillant, écrivant, je poursuis cette idée, je m’installe donc continuellement par l’esprit dans l’avenir proche pour moi comme pour nous tous, où je serai mort et enterré. À cette seconde où je vous parle, j’ai la cervelle occupée à la fois par les choses dont nous parlons et par la conviction que maintenant, tout de suite, je peux m’affaisser et rendre mon dernier souffle. Mais cette hantise ne m’attriste pas, ne me paralyse pas, comme tant de morts-vivants qui jouent à cache-cache avec la pourriture. »

   Pour conclure, donnons la parole à un quatrième médecin, André Jacquot, qui délivra cette manière d’épitaphe : « C’était un esprit curieux de tout, lisant énormément, s’intéressant aux problèmes les plus complexes comme aux choses les plus banales. Il aimait s’entretenir avec les gens les plus simples et il les écoutait avec patience et attention. Servi par une prodigieuse mémoire, il possédait une érudition extraordinaire qui lui permettait de traiter avec compétence n’importe quel sujet… Malgré la vigueur de ses écrits, il s’est toujours défendu d’être un doctrinaire, encore moins un chef de file… La seule création originale qu’il revendiquait avec véhémence parfois, c’était son style si particulier… Par ailleurs, sa règle de vie était : ne rien devoir à personne. Son esprit d’indépendance était poussé à tel point qu’il n’accepta aucune aide matérielle dans ses moments de grande détresse… Il avait horreur de l’embrigadement et détestait l’esprit de système… Avec cela, il était un confrère excellent, sans prétention, ignorant la jalousie. »

  Cinquante ans après, un tel diagnostic est-il encore admis par la bien-pensance qui le voit résolument en grand écrivain ennemi du genre humain ?

 Évocation composée à partir des textes suivants : Philippe Alméras, Céline entre haines et passion, Robert Laffont, 1994 ; François Gibault, Céline, 1944-1961. Cavalier de l’Apocalypse, Mercure de France, 1981 ; Jean Guenot, Louis-Ferdinand Céline damné par l’écriture, Chez l’auteur, 1973 ; Pierre Monnier, Ferdinand furieux, L’Age d’Homme, 1979 ; Erika Ostrovsky, Céline, le voyeur-voyant, Éd. Buchet-Chastel, 1972 ; Paul del Perugia, Céline, Nouvelles Éditions Latines, 1987 ; Robert Poulet, Mon ami Bardamu, Plon, 1971 ; Dominique de Roux, La mort de L.-F. Céline, Christian Bourgois, 1966 ; Frédéric Vitoux, La vie de Céline, Grasset, 1988.
 
(Marc Laudelout, envoyé le 1er juillet 2019).