ENTRETIENS A-K

 

 

 

 ENTRETIEN AVEC HENRI GODARD

 Etes-vous pleinement satisfait de cette édition de la correspondance  de Céline ?

 Elle a été difficile à collecter car pendant des années des gens ont bloqué les textes, mais le résultat est là : cette correspondance va de ses 7 ans jusqu'à sa mort à 67 ans. On y découvre, par exemple que son enfance n'est pas celle qu'il décrit dans Mort à crédit : le petit Destouches était tout le contraire du personnage principal, c'était un gamin respectueux et très obéissant !

 Comment y évoque t-il son travail d'écrivain et de création ?

 C'est à la fois important et très précieux dans la mesure où Céline n'a jamais fait d'exposés théoriques sur le sujet. Il trouvait cela très poseur et trop abstrait : un texte, selon son point de vue, marche ou ne marche pas. Il n'y a pas à aller plus loin. Dans les lettres à des critiques, il répond, se livre, comme dans ses entretiens avec des confrères tels qu'Eugène Dabit ou Albert Paraz. Les conseils donnés à ses traducteurs sont aussi riches d'enseignements et étonnants...

 Il aimait à dire qu'avec Racine, il était l'auteur français le moins bien compris à l'étranger...

 Oui, c'est quelqu'un qui frappe : il se rapproche du grand Racine alors qu'il en est l'opposé sur le plan du style ! Mais il a cela en commun avec lui : il est extrêmement difficile à traduire ; ses textes sont infiniment pétris des subtilités de la langue française. Il faisait d'ailleurs toujours ce qu'il pouvait pour aider à ces traductions.

 Il évoque également ses premières tentatives d'écrivain...

 Oui, il ne trouve pas tout de suite le ton, il se trompe lui-même dans ce qu'il veut écrire, commence par des pièces de théâtre : il tâtonne longtemps... Dans la correspondance de son voyage au Cameroun, on sent qu'il s'agit d'une période riche de sa vie. C'est un jeune homme enthousiaste passionné de sciences, s'essayant à l'écriture, réfléchissant à l'Histoire et la politique. Vous savez, il n'a écrit Voyage au bout de la nuit que très tard : il avait déjà 38 ans.

 Et sur la question de l'antisémitisme, que nous enseignent ces lettres ?

 Bien évidemment, on y perçoit clairement son évolution. Dans son milieu d'origine, c'était monnaie courante, sans conséquence, mais aujourd'hui la lecture de ces propos est horrifiante. Il y a une rupture en 1936, à mettre en parallèle de la conjoncture des évènements : son antisémitisme larvaire, latent devient furibond et aboutit à des monstruosités.

 En tant que spécialiste, quel est votre point de vue sur la censure maintenue des pamphlets tel Bagatelles pour un massacre ?

 Je n'en suis pas satisfait : c'est de plus en plus anormal. Quand des étudiants envisagent une thèse sur Céline sous ma direction, je leur conseille de lire ses pamphlets et de peser leur décision après cela : trop de monde en parle dans le vide. Dans ce volume de correspondance, j'ai d'ailleurs introduit des lettres qui en sont l'équivalent : l'écrivain s'y exprime durant la guerre, on aura accès à tout Céline... et le noir qui va avec. Ces textes ne méritent pas pour autant de figurer dans la Pléiade : il faudrait un volume à part intitulé Ecrits polémiques, accompagné d'un volume critique.
   (Propos recueillis par Nicolas LEGER, BC n° 319, mai 2010).