POETIQUE

 

 

  

     LE BATEAU-MOUCHE et le GRAND AIR.

 [...] Je vous parle pas à lurelure... bateaux-mouches et patati ! je les découvre pas !... tous les dimanches, dans ma jeunesse, pour ma mine, nous le prenions au Pont-Royal, le ponton le plus proche... cinq sous aller et retour Suresnes... sitôt avril tous les dimanches !... pluie, pas pluie !... chierie de mômes, à l'air !... tous les mômes des quartiers du centre... j'étais pas le seul " papier mâché " !... et les familles !... la cure !... à la cure, ça s'appelait !... Suresnes et retour !... bol d'air !... plein vent ! vingt-cinq centimes !... c'était pas la croisière tranquille... vous entendiez un peu les mères !... " Te fouille pas dans le nez !... Arthur ! Arthur !... respire à fond !... " les mômes le coup du grand air les faisait caracoler partout ! escalader tout !... des machines aux chiottes ! à se fouiller dans le nez, et se tripoter la braguette... ah ! et surtout à l'hélice !... au-dessus de ses gros remous... des tourbillons de bulles ! vous les trouviez là... quinze... vingt... trente... à s'halluciner... et les mères et les pères avec !... et de ces gifles !... les corrections !... ah ! Pierrette !... ah ! Léonce !... on se retrouvait !... hurleries !... larmes !... vlang ! vlaac !... à la mornifle et la cure d'air !... pas cinq sous par personne pour rien !... " Tu finiras au bagne, voyou !... " mômes désespoir des familles !... " Respire, respire, jean-foutre "... beng !... vlang ! " je te dis ! " l'enfance alors, c'était des gifles ! Respire donc à fond, petite frappe ! vlac ! laisse ton nez tranquille, scélérat ! tu pues, tu t'es pas torché ! cochon !... " les illusions quant aux instincts sont venues aux familles plus tard, bien plus tard, complexes, inhibitions, tcétéra... " tu pues, tu t'es pas torché ! te farfouille pas la braguette ! " suffisait avant 1900... et tornades de beignes !... bien ponctuantes ! c'était tout !... le môme pas giflé tournait forcément repris de justice... frappe horrible !... n'importe quoi !... votre faute qu'il tournait assassin !... 

 Ça faisait des bateaux-mouches bruyants... punitifs, éducatifs ! ça respirait dur, claquait tour de bras !... partout !... en avant sur l'ancre... en arrière au-dessus de l'hélice ! bang ! vlang ! " Jeannette !... Léopold !... Denise !... t'as encore fait dans ta culotte !... " qu'ils s'en souviennent de leur dimanche !... mômes " papier mâché ", morveux, désobéissants !... le mal que c'étaient des parents de leur faire profiter du grand air ! qu'ils faisaient exprès de pas respirer !... Pont-Royal-Suresnes et retour !
  Qu'ils se mettent tous ensemble d'un côté, tout le bateau penchait... forcément... les parents avec !... renouveau des mères ! " Tu le fais exprès, petit apache ! " et vlac ! et paff !... " Respire ! respire !... " ... le Capitaine, de sa guitoune, vociférait... qu'ils se retiennent !... " Pas tous ensemble !... " au porte-voix !... mais va foutre !... ils s'agglutinaient plus ! encore plus !... et les mômes, et parents, grand-mères !... et gifles !... contre gifles !... et pipis !... tout le rafiot à la même rampe !... à chavirer !... qui qui s'amuse sans désordre ?... plof ! bang ! " Clothilde !... ouin! clac ! mornifles que veux-tu ! Gaston !... ta poche !... tu te touches !... pflac !... cochon ! "

  Nous étions beaucoup à prendre l'air... c'était une croisière aussi qu'était joliment indiquée pour les petits asthmes, coqueluches, bronchites, Pont-Royal-Suresnes... toutes les boutiques, quartiers du Centre, Gaillon, Vivienne, Palais-Royal, étaient que des sortes de boîtes à mômes mines mie de pain... qui respiraient que le dimanche !... Quartier de l'Opéra... Petits-Champs, Saint-Augustin, Louvois !... à la cure !... les arrière-boutiques en avant !... si il fallait que ça profite !... " à fond ! à fond ! " Pont-Royal-Suresnes !
  (D'un château l'autre, Poche, 1968, p. 103).